Bousculez-nous ! Le message de Mgr Philippe GUIOUGOU aux jeunes de Guadeloupe


Informations

dimanche 6 octobre 2024
Diocèse de Guadeloupe

[HOMELIE] - L’évêque de Guadeloupe, Mgr Philippe GUIOUGOU, a présidé la messe de rentrée des étudiants du diocèse, samedi 5 octobre 2024, à l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, à Pointe-à-Pitre. Dans son homélie, il a parlé en fait à l’ensemble de la jeunesse guadeloupéenne, lui adressant de puissants messages. Voici la retranscription fidèle de cette homélie. A lire, et à relire.

Qui s’est déjà questionné, interrogé sur le sens de son existence. Sur le sens de sa présence sur terre, de son existence en tant qu’homme et femme. Les philosophes parmi nous, on vous écoute. Oui, qui s'est déjà interrogé sur le sens de son existence ? Je ne vais pas venir vous interroger, mais levez la main quand même. C'est une question légitime de se dire, mais à quoi je sers, pourquoi moi et pas un autre présent et vivant sur cette terre ?

En tout cas, en tant que chrétien, nous croyons que la création, la nature, l'homme, la femme font partie du projet de Dieu. Le livre de la Genèse nous le dit et est très clair. Ce qui est sûr et que nous voyons à travers cette première lecture que nous venons d'entendre.

Dans le livre de la Genèse, nous voyons que ce que Dieu a voulu et désiré cette création. Nous sommes le fruit du désir de Dieu. Dans ce cœur débordant d'amour de Dieu surgit la nature, les êtres vivants, l'homme, la femme. Dieu invite l'homme à entrer dans son projet de vie, en donnant nous-mêmes la vie. Tant que nous donnons la vie, nous entrons finalement dans ce projet de Dieu qui est celui de sa création.

De cet amour entre ces deux êtres surgit la vie. Entre l'amour, entre l'homme et la femme, surgit la vie. Croyons-nous encore que cela a du sens ? Voici une question que je vous pose. Croyez-vous encore que donner la vie a du sens ? Je veux bien vous entendre. Est-ce que vous croyez que donner la vie a du sens ? Je pose la question puisque nous voyons que notre société s'interroge.

Ne craignez pas de donner la vie

Notre société s'interroge de plus en plus, et se demande s’il faut donner la vie ? Il y en a qui disent que comme il n'y a pas suffisamment à manger pour tous, autant ne pas faire d'enfants. Nous entendons des choses qui questionnent et interpellent. Il peut y avoir différentes manières de donner la vie, en fait. Pas forcément en ayant des enfants. Par exemple, en tant que prêtres, nous n'avons pas d'enfants. Mais nous donnons la vie par ce don de nous-mêmes et en aidant. En aidant les autres à avancer, à trouver du sens, à se relever. C'est une autre manière de donner la vie aussi, finalement. Ce qu'il y a de beau chez l'homme, c'est son pouvoir de donner la vie. Ce qu'il y a de plus beau chez l'homme et la femme, évidemment, c'est bien ce pouvoir qu'ils et elles ont, de donner la vie.

Alors c'est certainement un signe que finalement nous ayons choisi cette date pour la messe de rentrée des étudiants et de leurs aumôneries, puisqu’au départ ça devait être au milieu de la semaine. Ensuite nous avons opté pour ce samedi, sans savoir si c'était le matin ou l'après-midi. Autre signe du Seigneur, nous avons eu un mariage juste avant de nous retrouver. On n'a pas fait exprès. On n'a pas demandé au curé de commander un mariage pour cet après-midi. Ils auraient pu quasiment choisir les textes de cette messe dominicale pour leur mariage.

La grande difficulté de notre époque, nous le savons, voir le grand drame, c’est que nous donnons beaucoup moins la vie et pour des raisons que nous comprenons. Ce que j'entends en tout cas, le chômage, la précarité, le manque d'espérance, en l'avenir, nous pourrions faire un débat très intéressant aujourd'hui ou peut être dans vos groupes d'aumônerie.

Relever le défi de faire échec au péril démographique qui nous menace

Qu'est ce qui est aujourd'hui un frein pour donner la vie. Vous savez, je le dis, c'est un constat. Notre département est un département vieillissant et nous faisons beaucoup moins d'enfants. Pour ma génération, je ne veux pas jouer les vieux, nos parents n’avaient pas la même vision. Je suis le dernier de 8 enfants, ceux qui ont à peu près mon âge, la cinquantaine, soixantaine, font partie de fratries de 8, 10 enfants. Pensez-vous que la vie d'il y a 40, 50 ans était moins difficile qu'aujourd'hui ? Est-ce que vous pensez que la vie de vos parents ou des grands-parents y a 40, 50 ans était plus facile qu'aujourd'hui ?

Il s'agit aussi pour nous de donner la vie dans notre Eglise par notre Eglise. Il y a toujours quelque chose à enfanter dans l'Église. Il y a toujours quelque chose de nouveau à faire naître dans l'Église. Voici ce que signifie aussi l'enfantement : la nouveauté, la résurrection.

C’est toujours difficile de comparer les époques, c'est vrai. Mais ce que je veux dire, c’est qu’à mon sens, la vie d'avant n'était pas moins ni facile, ni moins ou plus difficile. C'était une autre vie avec ses difficultés. Comme aujourd'hui, c'est une vie avec ces enjeux et ses difficultés. Et pourtant, il est vrai que souvent, cette excuse, ou cette raison du moins, est prise pour dire, nous ne faisons plus d'enfants parce que je me soucie de savoir si mon enfant aura un avenir.  Si j'en fais 5 ou 6, ça va être difficile.

Pourtant, frères et sœurs, ce défi, à mon sens, est le plus grand défi de notre société guadeloupéenne. Nous pouvons mettre tous les autres défis à côté. Parce que nous aurons moins d'enfants au caté, à l'école. Je vous donne des chiffres, chers jeunes. Dans l'enseignement public, en 10 ans, l'enseignement public, c'est à dire le primaire et le secondaire, a perdu 25% de son effectif en 10 ans. Entre l'année dernière et cette année, dans le public, ils ont perdu 1500 élèves. Quand je rencontre des maires, ils me disent, parce que je sillonne la Guadeloupe, qu’ils ne savent plus si dans deux ou trois ans, ils arriveront à maintenir une école primaire chez eux. J'étais à Marie-Galante il n’y a pas longtemps. Dans certaines écoles, ils sont descendus à 15 enfants par classe. Autant dire qu’il y a un véritable enjeu.

Je profite du fait que j'ai des jeunes en face de moi pour vous dire. Certes les choses semblent plus difficiles aujourd'hui, mais gardez cette force, ce pouvoir que Dieu vous a donné que de donner la vie et de faire le bonheur autour de vous par des enfants. Un Dieu au cœur donc de nos projets de vie.

Aux jeunes, aux couples et futurs couples : on se sépare quand on s’est éloigné du projet de Dieu

L'Évangile nous conduit sur la question du mariage. Un des projets de vie possibles pour nous, pour certains d'entre vous ou à une vie vocationnelle pour être religieux, religieuse ou être prêtre.  La question qui est posée dans cet Evangile est la suivante : Faut-il quitter sa femme ? Question posée à l’époque et qui résonne encore dans bien des vies aujourd’hui. Cette question du divorce ou de la séparation existait donc déjà. La réponse de Jésus ? Comme souvent, il essaye d'éviter d'être coincé. Il dit, cette question arrive parce que l'homme s'est éloigné en fait du projet de Dieu. Vous vous posez cette question aujourd'hui, faut-il que l'homme ou la femme se sépare en réalité parce que vous vous êtes éloignés du projet de Dieu. Oui en s'éloignant du projet de Dieu l'homme et la femme s'éloignent l'un de l'autre.

Quand je dis cela, je ne porte aucun jugement de valeur ou morale sur notre société. Nous avons tous et moi en premier dans nos familles, des personnes qui ont divorcé, donc je sais bien de quoi je parle. Mais pour autant, dans quelle mesure nous appuyons-nous sur l’Evangile comme aiguillon, comme boussole lorsque les choses vont mal. C’est ce qui conduit le Christ à dire qu’en réalité, cette question lui est posée dans l’Evangile, parce qu’en s'éloignant du projet de Dieu, l'homme et la femme s'éloignent l'un de l'autre.

Chers jeunes, quels sont les projets de vie que vous avez ou que vous demandez à Dieu ? Quels projets de vie avez-vous ? C'est une question fondamentale pour un jeune. Beaucoup de jeunes ne réussissent pas leur scolarité, parce que l'orientation ou le projet de vie n'est pas clair ou ils n'ont pas réussi à fixer un projet de vie. C'est pour cela que j'étais très intéressé par le CRIJ [ndlr : Centre Régional d’Information Jeunesse], je ne connaissais pas et qui aide les adolescents ou les jeunes adultes à réfléchir sur leur orientation. C’est intéressant de se dire comment on va m’aider à orienter ma vie.

Notre richesse, notre force, c’est vous !

Vous êtes une richesse, une force pour notre département, pour notre diocèse, chers jeunes. Comment pouvons-nous mieux vous écouter, vous accompagner pour comprendre vos besoins et entendre vos propositions ? Comprendre vos besoins mais surtout entendre vos propositions, qu'avez-vous à nous proposer ? Nous parlons souvent des jeunes qui sont partis, qui ont quitté le département. Mais ceux qui sont restés, vous, qui êtes ici, qui poursuivez vos études, vous êtes la preuve vivante que la jeunesse du département ici cherche un avenir.

L'évangile de Jésus-Christ selon saint Marc nous dit enfin, laissez venir à moi les enfants. Cela nous conduit à vous dire et me conduit à vous dire que vous avez votre place dans l'Église. Si moi, en tant qu'adulte je vous considère comme enfant, acceptez-le un peu, du moins, étant entendu que vous êtes plus jeune que moi.

Vous avez votre place dans l'Église, vous avez aussi votre place dans la société et je souhaite pour l'Église de Guadeloupe vous aider à prendre cette place. Voilà ma mission. Voici la mission, forcément que me confie le Seigneur. Il ne s'agit pas de prendre la place des autres, mais bien votre place, il y a de quoi faire pour tous.

Chers étudiants, chères étudiantes, vous avez des aumôneries catholiques à Fouillole, mais aussi maintenant à l'université de Saint Claude où une nouvelle aumônerie se met en place. On l’espère aussi bientôt à Baimbridge, parce qu'il y a là aussi des étudiants et nous les avons repérés. Avec la paroisse de Saint Luc, nous sommes en train de travailler pour que ces étudiants aussi puissent se retrouver autour de la parole de Dieu. Il y a de même le Chemin-Neuf pas très loin de cette église Saint-Pierre et Saint-Paul, qui a un foyer d'étudiants. Et bien d'autres choses que je ne connais pas. Mais il y a aussi les différents groupes et mouvements du diocèse qui étaient présents cet après-midi, avant la messe sur les stands devant l’église où nous sommes, qui vous proposent des lieux pour échanger sur votre vie, pour partager sur votre foi.

Bousculez-nous ! Faites bouger les lignes !

Comment votre foi vous pousse à vivre la rencontre intime avec Dieu ? Comment par ma foi, cela me pousse à rencontrer de façon intime, personnelle, Dieu avec les autres qui peuvent m'aider à prier. Mais aussi personnellement, comment votre foi vous pousse à agir dans la société ? Ce que j'attends de vous, chers jeunes, c’est que vous veniez nous bousculer, bousculer l'Église. Gentiment quand même… mé zot pé tchoké nou ti bouin kan minm osi. Bousculer aussi la société. Parce que C'est ainsi que notre société avancera et que notre église avancera.

Je compte sur vous ! Apportez votre jeunesse, votre fougue, vos idées, faisant de notre église une église toujours plus belle et toujours prête à suivre le Christ en y apportant la vie.

Nous pouvons donner la vie en enfantant. Mais il s'agit aussi pour nous de donner la vie dans notre Eglise par notre Eglise. Il y a toujours quelque chose à enfanter dans l'Église. Il y a toujours quelque chose de nouveau à faire naître dans l'Église. Voici ce que signifie aussi l'enfantement : la nouveauté, la résurrection.

Soyez donc, chers jeunes, les témoins du Dieu vivant qui nous aime. Dépensez-vous sans compter pour aider les autres, leur venir en aide. Et venir en aide à tous ceux qui ont besoin de nous. C'est bien cela l'Église de Jésus Christ. C'est bien cela l'Église en Guadeloupe.

Amen.

(Homélie de Mgr Philippe GUIOUGOU - Messe des étudiants - 5 octobre 2024, Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul, à Pointe-à-Pitre)

Dans la même catégorie